Ma nouvelle religion : le boylesque
Un escalier pentu et étroit aux murs noirs et marches en bois foncé se cache sur le Boulevard Saint-Laurent. Une odeur poudrée embaume cet escalier qui conduit au cœur de la scène burlesque de la ville de Montréal : le Wiggle Room. C’est derrière ses rideaux en velours d’un rouge profond que j’ai eu une apparition : Jésus Christ.
Plus connu sous le nom de Tristan Ginger, ce performeur est l’un des rares hommes à participer à des spectacles burlesques. Après avoir quitté sa province natale – l’Île-du-Prince-Édouard – pour Montréal, il se lança dans ce qu’on appelle le « boylesque » (mélange entre le mot burlesque et garçon en anglais).
Sur scène, il arrive avec un costume couvrant son corps d’une croix noire, les cheveux attachés et le regard sévère, puis commence l’art de l’effeuillage (strip-tease). Peu à peu il retire son habit, lâche sa crinière et apparaît presque nu devant les spectateurs. Deux cercles incrustés de cristaux dorés recouvrent ses tétons et un string – lui aussi doré – cache ses parties intimes. À la fin du show, il présente au public une couronne d’épines couleur or, qu’il place sensuellement sur sa tête. Ce Jésus, loin de Nazareth, prend du plaisir en feignant la douleur des pics qui traversent sa longue chevelure rousse.
C’est pour voir le show de Charli Deville, Drag King – femme costumée en homme – que je m’étais dirigée vers le Wiggle Room. Elle évolue dans un univers habituellement dominé par les hommes travestis en femmes, Drag Queens. À l’opposé, pour cette occasion, elle était avec Tristan la seule autre représentation du genre masculin sur scène. Le « drag » un univers d’hommes (travestis en femmes) et le burlesque un monde de femmes. J’étais très curieuse de découvrir avec Tristan Ginger un nouvel acteur de la transgression des codes de genre dans le milieu du spectacle.
C’est pourquoi je suis allée voir une seconde fois son show, cette fois-ci au Café Cléopâtre, également sur le Boulevard Saint-Laurent. Ce soir-là, il a remplacé le doré par le rouge et ajouté deux cierges à son numéro – la couronne d’épines toujours présente. Son string attaché seulement à une fesse, il s’est amusé ici encore à lancer des regards de braise aux spectateurs : comme un appel au péché.
Cet avant-gardiste n’est tout de même pas le seul homme à faire du burlesque. À Toronto, par exemple, une troupe uniquement masculine existe depuis déjà 10 ans : Boylesque TO. Tout comme eux, Tristan semble être accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par le public. Il fut élu par les lecteurs de Cult MTL – journal montréalais culturel (web et papier) – comme 3ème personne la plus sexy de Montréal en 2018, derrière Justin Trudeau et Tranna Wintour (comédienne transgenre). Tristan était également élu le 5ème meilleur artiste burlesque de la ville en 2018, les 4 premières places ayant été attribuées exclusivement à des femmes. Aussi, il compte en tout plus de 10 900 abonnés sur Instagram et se produit sur les scènes d’Amérique du Nord et d’Europe.
Jouant avec deux cierges au début de ce second show, il finit par les éteindre et en faire couler la cire encore brûlante sur son corps nu. Ce messie du monde de la nuit, précurseur d’un nouveau genre, n’a pas terminé de faire parler de lui. Un réel rêve érotique biblique.
Première photographie ©Duane D. Isaac – Seconde photographie ©Raphaëlle Lalonde